mardi 29 juillet 2014

DIRAN ALEXANIAN


Grand Maître du Violoncelle, Diran Alexanian est né le 12 avril 1881 à Constantinople. 
Ses premiers pas en musique sont faits sous la surveillance de son oncle maternel Hovannès Aznavour, puis il se perfectionne auprès de Guatelli, un musicien italien établi à Constantinople.
Adolescent, Diran  décide de se consacrer à la musique, malgré les objections de ses parents qui préféreraient plutôt le voir faire une carrière diplomatique ou juridique, afin de suivre l'exemple de son grand-père, Ambassadeur, ou père, Hovhannes-Bey, Président du Tribunal de Commerce.


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Hochschule für Musik, Dresden
 F. Grützmacher
(1832-1903)
Quoi qu'il en soit, en 1895, Diran quitte sa  ville natale pour l’Allemagne.
Au Conservatoire de Dresde (Hochschule für Musik) il devient l’élève du fameux  Friedrich Wilhelm Grützmacher et sur les conseils de ce       dernier commence à jouer dans l'orchestre de Johannеs Brahms, ainsi que fait de la musique   avec non moins célèbre Joseph Joachim.

A 17 ans, l'invitation à se produire en tant que soliste dans le poème symphonique pour violoncelle et orchestre «Don Quichotte» de Richard Strauss, une œuvre monumentale dirigée par l’auteur lui même, en dit long sur le niveau de maîtrise musicale du jeune Diran. C’est à cette époque que débute son ascension en tant que soliste.
Il est  alors invité par les plus grands chefs d’orchestre de son temps.


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Le bilan artistique de la période allemande de la vie de Diran Alexanian, venu en Allemagne pour y étudier à un âge précoce et avoir quitté ce pays dans la vingtaine est unique. 
Car, durant ces années, la providence a été plus que généreuse envers lui, en lui offrant la chance non seulement de rencontrer Johannès Brahms vivant, de jouer dans son orchestre, de recevoir  les conseils et les instructions du grand Maitre Allemand, mais aussi, tout au long de sa formation de faire de la musique et de se produire en concert avec des musiciens tels que Joseph Joachim, Richard Strauss, Arthur Nikisch et Gustav Mahler.



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A partir de 1901 commence la période non moins intense et fructueuse de sа carrière.  Après avoir rendu une visite à ses parents, Diran Alexanian s’installe à Paris, où il vivra jusqu'en 1937.  
Pablo Casals (1876-1973), Alfred Cortot (1877-1962), Jean Huré (1877-1930), Wanda Landowska (1879-1959),  Georges Enesco (1881-1955), Lazar Levi (1882-1964),  Alfredo Casella (1883-1947), c’est toute une pléiade  de musiciens avec lesquels Diran  Alexanian a collaboré, communiqué et joué durant  ces années.
Camille Saint-Saëns (1835-1921), Gabriel Fauré (1845-1924), Claude Debussy (1862-1918) et d’ autres musiciens célèbres, qui appréciaient hautement son jeu, honoraient ses concerts par leur présence.

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Alfredo Casella
(1883-1947)

Georges Enesco 
(1881-1955)
Dans un trio formé du Roumain Enesco, violon, de l’Italien Casella, piano, et de lui même, Diran Alexanian à donné des concerts à travers toute l’ Europe.
Alexanian et Enesco, furent également partenaires, en particulier, dans le célèbre Double Concerto de Johannès Brahms.




Considéré comme un des meilleurs interprètes de la Symphonie Concertante pour violoncelle et orchestre op. 8 en si mineur de Georges Enesco, Alexanian l'a jouéе à Paris sous la direction de l'auteur lui-même, et en Espagne, sous celle de Pablo Casals.

Les multiples propositions et invitations reçus par Diran Alexanian pour participer aux créations mondiales des œuvres des compositeurs de son époque, sont des exemples éloquents de sa maturité artistique et du niveau de son jeux.
Voici quelques unes d'entre elles :


Affiche du concert du 18 avril 1920
Prmière page de la troisieme Sonate
en fa diese majeur de Jean Huré
dediée à Diran Alexanian
— Sonate pour violoncelle et piano en do majeur (op.26/2) de
     Georges   Enesco, dans un concert donné à Paris, le 4 mars 1936 avec,   au piano l’auteur, lui-même.
— Suite pour quatre violoncelles, op. 95 d'Emmanuel Moór (1863-1931), dans le cadre d’un concert donné le 15 juin 1909, à la salle Pleyel, dédié à ce compositeur hongrois, avec la participation des violoncellistes André Hekking, Joseph Salmon, Pablo Casals ainsi que Diran Alexanian.
— Quintette pour cordes et piano de Jean Huré (1877-1930) créé le 23 mai 1912 avec Georges Enesco (violon), Robert Krettly (violon), Drouet (alto), Diran Alexanian (violoncelle) et Andrée Gellée (piano). 
 Lors du concert du 18 avril 1920, Diran Alexanian interprète la Troisième sonate en fa dièse majeur pour violoncelle et piano de Jean Huré, accompagne par le compositeur. Cette sonate, dédiée à l'interprète est suivi de la Quatrième suite pour violoncelle seule de J.S. Bach et de la Symphonie Concertante pour violoncelle et orchestre, op. 8 de Georges Enesco, avec l'auteur au piano.




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Diran Alexanian chez Pablo Casals, 1949

Une amitié étroite a lié Diran Alexanian avec Pablo Casals pendant plus d’un demi siècle.  Elle a commencé par un événement fortuit et remarquable :  Le pianiste et compositeur Italien Alfredo Casella avait demandé à Diran Alexanian de réviser la partie violoncelle de l’une de ses œuvres. Examinant cette rédaction, Pablo Casals a été surpris par le haut niveau de compétence et le professionnalisme du travail accompli par ce musicien encore inconnu de lui. Il exprima le souhait de le rencontrer. Casals appréciant le jeu d’Alexanian, se rendit compte que les nouvelles techniques révolutionnaires du doigté qu’utilisait Alexanian, coïncidaient largement avec ses idées  propres. 


Une déclaration de Casals qui se passe de tous commentaires :


«Alexanian - qui est un homme exceptionnel - et moi, avons discuté pendant des années sur les questions touchant le violoncelle et l'interprétation en général. Mes entretiens avec lui ont toujours été pour moi un véritable stimulant».

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Concert du 25/12/1923
Assis au centre : Sergueï Liapounov (1859-1924)
à sa droite : le violoniste Marcel Cailley, 

à sa gauche : Diran Alexanian.


Alexanian a également collaboré avec des musiciens russes.
Le 17 et le 19 février 1923 à Barcelone, Diran Alexanian partage deux concerts avec Sergei Prokofiev (1891-1954).

Le 25 décembre de la même année Diran Alexanian participe à un concert d’un autre compositeur et pianiste russe Sergueï Liapounov (1859-1924), en jouant la partie du violoncelle dans le Sextuor pour piano de ce maître russe. 







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Diran Alexanian
Dans la presse française et européene des années vingt et trente du XXe siècle, on trouve un bon nombre d’articles sur les concerts donnés par Alexanian, que ce soit en qualité de violoncelliste ou de chef d'orchestre. Les auteurs de ces articles reconnaissent unanimement les hautes qualités de son interprétation, en notant en particulier la sobriété de son jeu.







Grand érudit, Diran Alexanian possédait par ailleurs une plume remarquable.
Dans les périodiques parisiens de l'époque, tels que «Le Monde Musical», on trouve ses nombreuses publications : des articles sur Casals, des écrits polémiques, des critiques de concerts, dont ceux de Furtwangler et de Toscanini, ainsi qu’un article nécrologique «Claude Debussy» (avril 1918).


Sur la formation de ses idées philosophiques le rôle de sa rencontre et l’assistance aux cours et conférences d’Henri Bergson (1859-1941), par la suite, en 1927, le prix Nobel de littérature, était prépondérant.

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Immeuble au Nº 12, Rue Faraday 
du XVIIe arrondissement de Paris
où habita Diran Alexanian 
dans les années 20, 30.








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Ecole Normale de Musique de Paris


Ses activités pédagogiques pendant sa vie parisienne, sont principalement liées à l'Ecole Normale de Musique, où il a été invité à enseigner sur la recommandation de Pablo Casals.
Dans cette école, à part la classe de violoncelle,  Diran Alexanian à été à la tête des classes d'orchestre, de direction d’orchestre et de musique de chambre.

                   


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A 29 ans, Diran Alexanian a entrepris la création d’une méthode d'enseignement révolutionnaire, laquelle a exigé de lui quatre années de travail  minutieux. En 1914, il achève ce travail de grande envergure appelé par Pablo Casals «Dictionnaire technique de violoncelle». Encore très demandé aujourd'hui dans la pratique de l'enseignement, ce manuel bilingue, français-anglais a été publié en 1922 par la maison d'édition parisienne «Mathot» — «Salabert» sous le nom de «Traité Théorique et Pratique du Violoncelle» avec une préface de Pablo Casals.


Six Suites pour violoncelle seul
Traité Théorique et 
Pratique du Violoncelle

Une autre œuvre non moins importante
de Diran Alexanian, est sa rédaction analytique de la version intégrale des
«Six Suites pour violoncelle seul»
de J. S. Bach.
Cette publication est unique,
car elle contient le fac-similé
des Six Suites, écrite de la main
d'Anna Magdalena Wilcke-Bach,
la seconde épouse du compositeur,
une copie du document provenant de la collection personnelle de Diran Alexanian.



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Ses premières compositions, Diran Alexanian les a créées dans ses années d’études en Allemagne. Il s'agit d'œuvres chorales écrites pour le chœur de l'église protestante.
Il est aussi l'auteur d'un bon nombre de transcriptions s'inspirant de chants anciens, sacrés ou profanes. Sa «Petite Suite Arménienne» (1919) pour orchestre de chambre comprend des versions instrumentales de chant liturgique «Horourt horin» et des chants profanes «Oror», «Alagyaz», «Hov Arek» («Le grand sacrement», «Berceuse», «Montagne Alagyaz» et «Donnez de la fraîcheur»).
Cette œuvre a été interprétée pour la première fois à la salle Gaveau, lors d'un gala organisé en l’honneur du célèbre écrivain et journaliste arménien Arshak Chobanian.
Alexanian a aussi arrangé des chansons populaires pour instruments à cordes, en particulier pour violoncelle.
Parmi ses compositions, on trouve deux chants pour voix et piano sur «Deux Poèmes» de Camille Mauclair, 1919, Paris, Ed. Mathot,
«Soir, les roses dans le coupe», chant et piano sur une poème d'Albert Samain, 1918, Paris, Ed. Ricordi,
Un Quintette pour piano et cordes,
Deux pièces, «Aire» et «Pastorale», pour violoncelle et piano d'après l'«Oratorio de Noel» de J. S. Bach, 1904, Paris,
«Berceuse» pour violoncelle et piano, 1923, Paris.

Sur les compétences pianistiques de Diran Alexanian son élève de la période américaine, David Blum s'exprime ainsi. Dans son livre «L'Art du Quatuor à cordes» («The Art of Quartet playing») (page 166) il écrit :
— «Il pouvait se mettre au piano et jouer par cœur presque n'importe quelle partition d'opéra».
(«He could play almost any opera score on the piano from memory»).


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Alfred Cortot
(1877-1962)





Page dédiée à Alexanian
«Le Monde Musical»
juin-juillet 1937

A une invitation américaine des années vingt, lui proposant de venir créer aux Etats-Unis une école de violoncelle, Diran Alexanian n’a pu y répondre qu’en 1937.
À l'occasion de son départ pour les États-Unis l'été de la même année, l'Ecole Normale de Musique de Paris a offert en son hommage un Concert de Musique de Chambre, au cours duquel ont été magnifiquement interprétés le 2e Quatuor de G. Fauré, le Quintette à 2 violoncelles de Schubert et le Quatuor à cordes de Schumann, par MM. Palenicek, les frères Figueroa, Blanpain Reculard et Noordhof.

Dans une allocution très acclamée M. Alfred Cortot marqua toute la haute valeur de l’enseignement d’un tel maître, son haut degré de culture et la reconnaissance que lui doit toute une génération de jeunes musiciens.
En voici le texte.
«Le moment que nous devons, même temporairement, prendre congé d’Alexanian, dans cette Ecole dont il est l’un des fondateurs et où son enseignement de grand musicien a rayonné d’un éclat exceptionnel, est pour nous tous un instant de vrai regret. 
Je sais bien que nous l’eussions mal aimé en lui demandant de renoncer à l’offre flatteuse que viennent de lui adresser les Etats-Unis, qui nous l’enlèvent.
Je sais que notre attachement eût pris figure d’égoïsme en insistant pour le garder, alors qu’il va, au nom de la France dont il représente si dignement les tendances pédagogiques, faire exceller avec sa méthode  nos méthodes nationales, dans un grand pays ami où sa réputation n’est déjà plus à faire et dans lequel il est assuré d’un succès éclatant. 
Mais je tiens, au nom de ses élèves de la classe de violoncelle, de la classe d’orchestre, de son cours de musique de chambre, de ses amis de l’Ecole et de moi-même qui lui doit tant d’heures d’une collaboration inestimable, à lui dire, avant qu’il ne quitte une maison qui demeurera toute peuplée de son influence, que nul de ceux que je viens de nommer n’oubliera le grand artiste qui lui aura pendant près de vingt ans témoigné tant d’affection et de dévouement.
Ce qu’y fut son enseignement — ce que sa patiente recherche des éléments psychologiques et physiologiques qui conditionnent le beau musical a dégagé d’une longue expérience, les lignes suivantes qui résument l’important ouvrage auquel il travaille, en définiront le sens et la qualité.
Heureux les jeunes musiciens américains qui sauront profiter d’une telle discipline.
Ils y trouveront avec la plus noble conscience des exigences de leur art, le plus efficace moyen d’en pénétrer l’émouvant et miraculeux secret».

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 Peabody Institut de Baltimore
Manhattan School of Music
Malheureusement, on ne dispose pas d'informations suffisantes sur  les 17 années de vie de Diran Alexanian aux Etats-Unis,
en particulier, sur ses activités pédagogiques au «Peabody Institut» de Baltimore et au  
«Manhattan School of Music»
de New York.



Nos demandes aux archives de ces institutions pour obtenir des informations sur son enseignement et les activités de concerts de la période américaine de sa vie sont en attente.

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Diran Alexanian est mort le 27 juin 1954, à l'âge de 73 ans en France, où il était venu diriger une série de concerts.
Il est enterré à Chamonix.
  
La dalle de Diran Alexanian au cimetière de Chamonix

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Diran Alexanian (au centre)
avec Henri Honegger (g.)
Chamonix, 1927
Diran Alexanian avec
Antonio Janigro, 12 ans
Chamonix, 1930


Ces deux photos montrent son attachement à Chamonix, où, loin de Paris, au pied du Mont-Blanc, il aimait aller en villégiature dans la période de l’année la moins saturée par ses activités pédagogiques.






  

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Une liste partielle de musiciens de renommée mondiale qui ont étudié ou profité des conseils du célèbre violoncelliste, chef d'orchestre et de l'éminent pédagogue Diran Alexanian.

Maurice Eisenberg (1900-1972)
Willem van den Burg (1901-1992)       
Emanuel Feuermann (1902-1942)    
Gregor Piatigorsky (1903-1976)     
Henry Honegger (1904-1992)        
Herbert de Castro (1905-1969) 
Rudolf Metzmacher (1906-2004)     
Pierre Fournier  (1906-1986)        
Raya Garbousova (1906/9-1997)
Eva Heinitz (1907-2001)       
Ljerko Spiller (1908–2008)      
Harvey Shapiro (1911–2007)
Fritz Magg (1914-1997)       
Bernard Greenhouse (1916-2011)
Hidayat Inayat Khan (1917)     
Antonio Janigro (1918-1989)       
David Soyer (1923-2010)        
George Ricci (1923-2010)       
Oliver Colbentson (1927-2013)
John Sant’Ambrogio (1932)
David Blum (1935-1998)












Article de presse du New York Times 
du 4 juillet 1954, relatif au décès 
de Diran Alexanian.

L'auteur du Blogue remercie Alitz Minassian pour sa précieuse collaboration technique.

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